LA JOIE Le mot joie : un mot clef, mot de départ sans arrivée, un
mot témoin, un mot qui s'incarne en lumière ou en rire, mot
pilier qui contient l'audace des mutations, s'impose maintenant
et s'installe jusqu'au coeur de la substance vivante. Ce n'est qu'un mot et pourtant, s'il peut s'investir en dehors
du temps et de toutes les avidités, c'est la fin de la
souffrance, c'est le malheur incendié, c'est le souffle divin
qui sort de sa prison. Dans ce mot qui pétille et déchire le
voile des attachements, la vie apparaît dans sa nudité, dans la
simple évidence d'un soleil qui se lève. Si le mot joie peut se réinventer, se délivrer de tout ce
qui, jusqu'à présent le conditionne, il nous mène, infaillible
et triomphant sur le seuil, enfin découvert, de la rive intérieure. Son corps explosé se diffuse en des milliards d'étoiles. Il
s'évade et se rejoint, ne cesse de mourir et de renaître,
toujours neuf en ses multiples visages. Sa musique infinie
retrouve la conscience pour que s'éveille et s'illumine la
moindre parcelle vivante. Antichambre de l'inconnu, la joie se profile sur l'écran de
la métamorphose. Elle chante la terre et les rivières, les
arbres et les pierres ; comme une abeille elle butine de fleur en
fleur et transforme en nectar ou en miel l'horreur et le
désespoir que la démence humaine inlassablement recrée. Accueillir l'éclatante visiteuse pour en faire une
reine, c'est boire à la source et rejoindre son âme, c'est renaître
plus fort en perdant ses frontières, c'est fleurir à la grâce
et n'être plus qu'un grain d'ivresse, un miroir qui reflète la
vie et l'immense beauté de l'univers. Jardin de l'âme, jardin sans limite, la joie se cache en
toute chose pour peu que le regard la reconnaisse et la réverbère.
Elle se montre à celui dont les yeux peuvent s'offrir l'émerveillement
d'un premier matin du monde, à celui qui se lasse de l'éternel
aveuglement de la séparation, à celui qui s'éveille du long
sommeil de la souffrance. Il suffit d'une étincelle pour qu'elle s'embrase de coeur en
coeur, pour qu'elle se propage, inévitable, en sa radieuse
contagion. Si plus rien ne résiste à la joie, si nul ne s'en
défend, la terre en fera sa convalescence, son ardeur et sa
respiration. Extrait du prochain livre de Marianne DUBOIS